Juin 2006 : lettre du procureur de la République à Maitre Bénéwendé Sankara et commentaires publiés par l’hebdomadaire San Finna

Publié le par Patriote

Nous publions ci-dessous la lettre du procureur du Faso auprès du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou publié dans le N°6666 DU 23 AU 25 JUIN 2006 du quotidien l’Observateur à l’adresse http://www.lobservateur.bf/Oarticle... en réponse à une lettre envoyée par Maitre Benewendé Sankara envoyé le 17 mai 2006 (l’Observateur note que c’est un certain 17 mai 1983 qu’a été arrêté Thomas Sankara). Cet échange fait suite à la décision du comité des Droits de l’homme de l’INT en faveur de la famille Sankara (voir cette décisions à l’adresse http://www.thomassankara.net/articl...).

Nous publions aussi ci-dessous, les commentaires sur ce courrier publié dans le N°369 daté du 26 Juin au 02 Juillet 2006 de l’hebdomadaire San Finna (voir à l’adresse http://www.sanfinna.com/).

 

 


 

 

 

 LETTRE DU PROCUREUR DU FASO A MAITRE B. SANKARA


 

Le procureur du Faso près le Tribunal de Grande instance, Ouagadougou

A Maître Bénéwendé Stanislas Sankara, Avocat à la Cour, Ouagadougou, Burkina Faso

V/Ref- Lettre en date du 17 mai 2006 relative à la relance d’une requête datant de l’an 2001

Objet : Affaire veuve Sankara née Sermé Mariam et autres contre "X"

 

 

Maître,

 

J’accuse réception de votre requête en date du 17 mai 2006 et parvenue à mon Parquet le même jour, me demandant "...Vu l’article 71 du Code de justice militaire, au nom de Madame veuve Mariam Sankara et de ses enfants Philippe et Auguste Sankara... de dénoncer conformément à la loi, toutes infractions commises dans l’assassinat du Président Thomas Sankara...".

 

En d’autres termes, vous me demandez expressément de dénoncer les faits incriminés à Monsieur le ministre de la Défense, car aux termes des dispositions sus-citées du Code de justice militaire, la partie civile ne peut saisir le ministre de la Défense, seul habilité à donner l’ordre de poursuite en cas d’infraction relevant de la compétence des tribunaux militaires.

 

En rappel, mon Parquet vous avait clairement signifié en date du 23 juillet 2001 que votre requête portait sur des faits qualifiés crimes commis le 15 octobre 1987. Si à l’époque des faits, treize (13) années s’étaient écoulées, de nos jours, dix-huit (18) années se sont écoulées. L’arrêt de la Chambre d’accusation en date du 26 janvier 2000, tout en déclarant notre juridiction incompétente et en renvoyant les parties à mieux se pourvoir, ne désigne pas expressément la juridiction militaire.

 

Au surplus, le comité des droits de l’homme des Nations unies évoqué dans votre requête, a, lors de sa quatre-vingt-sixième session, mentionné clairement en son paragraphe 14 "...Qu’en vertu du paragraphe 3a de l’article 2 du pacte, l’Etat partie est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Madame Sankara et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara, et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie.

 

L’Etat partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir". Au regard de ce qui précède, il résulte que le pacte relatif aux droits civils et politiques auquel vous faites allusion a voulu privilégier une démarche non contentieuse dans la résolution de l’affaire qu’il convient d’appeler Dame Sankara et autres contre "X".

 

Il ne semble donc plus opportun de donner suite utile à votre requête par la dénonciation de l’affaire sus-citée auprès de monsieur le ministre de la Défense. Tout en vous souhaitant bonne réception de la présente, je vous pris d’agréer, Maître, l’expression de ma très haute considération.

 

Le Procureur du Faso

 

Adama Sagnon

 

 

Les commentaires de l’hebdomadaire San Finna (voir à l’adresse http://www.sanfinna.com/) publiés dans le N°369 du 26 Juin au 02 Juillet 2006

AFFAIRE THOMAS SANKARA
L’ENTERREMENT A TOUT PRIX ?

En 1997, alors que l’assassinat de Thomas Sankara et de ses douze compagnons allait sur sa douzième année, Madame Mariam Sankara, en son nom et aux noms de ses enfants mineurs Philippe et Auguste, saisissait la justice burkinabé pour que la lumière soit faite et que le droit soit dit sur les circonstances de la mort de son époux.

Un jeu de ping-pong judiciaire allait immédiatement s’engager, ballotant les parties entre recours et instances judiciaires pour finalement finir en rade à la Cour Suprême avec sa décision en date du 19 Juin 2001 déclarant irrecevable l’ultime recours de Mme Sankara et de ses enfants pour non paiement de consignation.

De 1997 à 2001, toutes les ficelles judiciaires auront été utilisées pour gagner du temps, décourager les demandeurs et arriver à enterrer le dossier. Mais cela s’est fait en piétinant le droit et des accords internationaux signés et ratifiés par le Burkina Faso.

Mme Sankara et ses enfants, assistés de leurs conseils, en rapporteront les preuves. Ils saisiront le Comité des droits de l’homme des Nations Unies qui, par sa décision en date du 5 Avril 2006, fera droit à leurs demandes en engageant l’Etat burkinabé à réactiver le dossier

Le Burkina Faso ayant fait connaître sa décision de se plier à cette décision, on s’attendait à ce qu’enfin, la procédure soit mise en œuvre. Si l’on s’en tient aux termes de la lettre en réponse que le Procureur vient d’adresser à Me Benewende Sankara (in L’Observateur Paalga du 23 Juin 2006), nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge !

Le procureur avance en effet ceci : « ..le comité des droits de l’homme des Nations Unies évoqué dans votre requête, a, lors de sa quatre-vingt-sixième session, mentionné clairement en son paragraphe 14 ....Qu’en vertu du paragraphe 3a de l’article 2 du pacte, l’Etat partie est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Madame Sankara et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara, et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie ».

Nous risquons, on le voit bien, si cette correspondance est validée par l’Etat burkinabé partie au procès, de sortir du juridisme pour tomber dans le verbalisme, donc de poursuivre dans le dilatoire. En effet, par un jeu d’induction de mauvais aloi, le Procureur en arrive à nous présenter l’accessoire comme le principal, à prétendre que la décision de fond du Comité des droits de l’homme n’est rien d’autre qu’une invitation faite à l’Etat burkinabé à reconnaître officiellement le lieu de sépulture de Thomas Sankara et à indemniser la famille.

Allant même plus loin dans ses exégèses de la décision du Comité, le Procureur soutiendra qu’ : « Au regard de ce qui précède, il résulte que le pacte relatif aux droits civils et politiques auquel vous faites allusion a voulu privilégier une démarche non contentieuse dans la résolution de l’affaire qu’il convient d’appeler Dame Sankara et autres contre "X" ». C’est donc tout naturellement qu’il en tire la conclusion en ces termes : « Il ne semble donc plus opportun de donner suite utile à votre requête par la dénonciation de l’affaire suscitée auprès de monsieur le ministre de la Défense. Tout en vous souhaitant bonne réception de la présente, je vous pris d’agréer, Maître, l’expression de ma très haute considération ».

Tout cela est d’un toupet, d’un mépris à couper le souffle.

Pour le troc qui consiste à compenser le besoin de justice et de vérité de Mariam Sankara et de ses enfants par les seules compensations financières et les seules explications sur le lieu d’inhumation de Thomas Sankara, les ayant droits étant concernés au premier chef, sauront apporter les réponses qui conviennent.

Mais pour la déclassification des constatations et décisions du Comité, leur omission ou interversion, on peut demander à l’opinion de juger du sérieux de tout cela sur pièces. En effet, le comité a entre autres estimé que l’absence d’enquête des autorités burkinabé sur le décès de Thomas Sankara de même que les entraves à l’exercice des droits de Mme Sankara et de ses enfants, constituaient au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé par le Burkina Faso, des violations des droits de la famille et des obligations de l’Etat burkinabé. Après quoi, il tranchera sur la question de la prescription ainsi qu’il suit : « Contrairement aux arguments de l’Etat partie, aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire, et dès lors la non dénonciation de l’affaire auprès du Ministre de la Défense revient au Procureur, seul habilité à le faire ». Cela seul suffit sans invoquer d’autres éléments par ailleurs surabondants, à dénoncer cette volonté de dénaturation de la décision du Comité.

Mais si une telle lettre a pu être notifiée par la voie des médias un vendredi, comme pour la rendre opposable à tous, c’est que peut-être quelque part, on aura encore une fois décidé de continuer contre vents et marées, à faire de la résistance au droit.

Quoi qu’il en soit, et avant même la notification de la décision finale au Comité des droits de l’homme par l’Etat, on peut dire que la réplique est déjà donnée aux ayant droits de Thomas Sankara, à leurs conseils, aux associations Thomas Sankara et autres mouvements de défense des droits de l’homme, aux combattants de l’impunité mais aussi au Comité des droits de l’homme vis-à-vis duquel l’Etat burkinabé semble vouloir se comporter en réfractaire, en refusant de se plier à sa décision.

V.T

 

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