« Oui le Comité de l’ONU a abordé l’aspect judiciaire de l’affaire Thomas SANKARA » de Maitre Dieudonné Nkounkou (novembre 2007)

Publié le par Patriote

Nous vous livrons ci-dessous la réponse de Maitre Dieudonné Nkounkou à un article paru dans le journal burkinabé l’hebdomadaire sous la plume de Djibril Touré qui interprétait les décision de l’ONU de 2006 à l’avantage de l’Etat burkinabé.

La réponse de Maitre Nkounkou, l’un des avocats qui assiste la famille Sankara dans son combat judiciaire, qu’il a bien voulu nous confié, n’avait jusqu’ici jamais été publié. Elle retrouve toute son actualité après la décision de Haut Commissariat des droits de l’homme de l’ONU de clore finalement le dossier sans pour autant que la justive ait été rendue. (voir à l’adresse http://www.thomassankara.net/article.php3?id_article=0569).

 


 

Droit de réponse aux élucubrations problématiques de Djibril Touré

A propos de l’article du journal l’Hebdomadaire n° 446 du 02 au 08 novembre 2007

 

Maitre Dieudonné Nkounkou

 

 

Oui le Comité de l’ONU a abordé l’aspect judiciaire de l’affaire Thomas SANKARA.

La clarté de la décision du Comité de l’ONU a tellement aveuglé Djibril TOURE, qu’il n’a pas vu et lu ses recommandations comme : ‘’ Enfin le Comité note que depuis que les juridictions de droit commun ont été déclarées incompétentes, près de cinq ans ont passé, sans que de poursuites judiciaires aient été engagées par le Ministre de la défense. L’ Etat partie n’a pu expliquer les retards en question et sur ce point, le Comité considère que, contrairement aux arguments de l’Etat partie, aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire, et dès lors la non-dénonciation de l’affaire auprès du Ministre de la défense revient au Procureur, seul habilité à le faire ‘’.

L’ONU n’a jamais demandé l’ouverture d’une enquête ni la tenue d’un procès, clame in liminé, le sieur TOURE. A croire Djibril TOURE, les affirmations selon lesquelles ‘’ le comité des droits de l’homme de l’ONU a considéré que l’affaire (Thomas Sankara ) devrait être rouverte ‘’, sont ‘’ totalement fausses quand on lit attentivement les constatations du dit comité ‘’.

Sans s’empêtrer dans les considérations ‘’ d’une instrumentalisation politique ‘’ de cette affaire comme le dit l’érudit TOURE, ni de sa leçon sur ce qu’est le comité des droits de l’homme de l’Onu, mettons le doigt sur le problème essentiel : qu’a décidé ce comité ? Il est regrettable que cette décision n’ait pas été mise in extenso, surtout ce qui concerne les constatations du comité, afin que chacun se fasse son opinion. Mais il y sera remédié, car à lire Djibril Touré, il y a des recommandations principales du comité et d’autres qui seraient…Là il ne dit rien ! Donc selon lui, les recommandations finales ( principales ?! ) du comité sont : ‘’ En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte ( international relatif aux droits civils et politiques ) l’Etat partie ( Burkinabè ) est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie. L’Etat partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir ‘’.

Et très sérieusement, Djibril Touré ajoute que ‘’ cela est très clair d’un point de vue lexicale et juridique ‘’. Alors que notre génie du verbe explique à ses lecteurs d’un point de vue lexicale et juridique ce que veulent dire les deux mots importants de cette partie citée : Recours ( utile et effectif ), et Notamment. Mais au fait, dans ce qu’il considère comme ‘’ recommandations finales de l’Onu ‘’ où lit-il qu’il faut ‘’ Corriger le certificat de décès de Thomas Sankara ‘’ ? C’est peut être vrai comme il le dit que le français est élastique, mais où diantre trouve-t-il dans ces constatations finales, celle concernant la rectification de l’acte de décès ( relisez-le plus haut et c’est à perte de procès ) !

A la vérité, cette recommandation existe plus avant dans le corps de la décision de l’Onu. Cette décision se compose de trois parties : la première relative aux arguments des auteurs de la communication ( Mariam Sankara et ses enfants ), la deuxième relative aux arguments de l’Etat partie ( le Burkina Faso ) et la troisième relative aux constatations du comité ( l’examen sur le fond ). 

 

Et c’est fort de ces ‘’ constatations finales ‘’ que Djibril Touré conclut doctement ‘’ De fait, on ne voit pas où il est question de ‘’ tribunal militaire devant lequel il n’y aurait aucune prescription ‘’ ‘’( alors que l’on ne voit pas non plus, là où il est question de corriger le certificat de décès ! ). Mais comme il le dit Mariam Sankara et ses avocats font ‘’ des interprétations tendancieuses ‘’ des recommandations du Comité des droits de l’Homme de l’ONU.

 

Malheur à ceux qui trompent leurs lecteurs, car voici la décision de l’Onu dans sa partie relative à l’examen sur le fond de l’affaire :

 

Examen sur le fond

"Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du protocole facultatif.

En ce qui concerne une violation de l’article 7, le Comité comprend l’angoisse et la pression psychologique dont Mme Sankara et ses fils, famille d’un homme tué dans des circonstances contestées, ont souffert et souffrent encore parce qu’ils ne connaissent toujours pas les circonstances ayant entouré le décès de Thomas Sankara, ni le lieu précis où sa dépouille a été officiellement enterrée. La famille de Thomas Sankara a le droit de connaître les circonstances de sa mort, et le Comité rappelle que toute plainte contre des actes prohibés par l’article 7 du Pacte doit faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales des autorités compétentes. De plus le Comité considère que le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme Sankara et ses fils, contraire à l’article 7 du Pacte.

En ce qui concerne une violation de l’article 9, paragraphe 1, du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le droit à la sécurité de la personne garanti au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, s’applique même lorsqu’il n’y a pas privation formelle de liberté. L’interprétation de l’article 9 ne permet pas à un Etat partie de ne pas tenir compte des menaces à la sécurité individuelle de personnes non détenues relevant de sa juridiction. En l’espèce, des personnes ont tiré et tué Thomas Sankara le 15 octobre 1987, et par crainte pour leur sécurité, sa femme et ses enfants ont quitté le Burkina Faso peu après. Cependant, les arguments avancés par les auteurs sont insuffisants pour faire apparaître une violation de l’article 9, paragraphe 1 du Pacte.

En ce qui concerne la prétendue violation de l’article 14, paragraphe 1 du Pacte, s’il n’appartient pas nécessairement à un tribunal de se prononcer sur la demande d’enquête publique ou de poursuite, le Comité considère cependant que, comme dans le cas d’espèce, chaque fois qu’un organe a été chargé de décider du début de l’enquête et des poursuites, il doit respecter la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, comme le prévoit l’article 14, paragraphe 1, et les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité implicites dans cette garantie.

Le comité note les arguments des auteurs quant au non-respect de la garantie d’égalité par la Cour Suprême lors de son rejet du pourvoi sur la base du défaut de consignation de 5000 francs CFA, et de son refus de considérer la qualité de mineur d’Auguste Sankara. Or, il ressort, en premier lieu, que l’Etat partie n’a pas contesté le fait que contrairement à l’article 110 de l’ordonnance n° 91-51 du 26 août 1991 du Burkina Faso, le greffier n’a pas informé les conseils de l’obligation de consigner une somme de 5000 francs CFA à titre de consignation d’amende. En second lieu, il apparaît que l’arrêt de la Cour suprême soutenant que les auteurs n’ont justifié d’aucune dispense de consignation pour le mineur Auguste Sankara était inopportun puisque les auteurs n’avaient pas connaissance des consignations requises, en raison du défaut même d’information du greffier, élément essentiel sur lequel la Cour était pleinement informé. Le Comité estime dès lors que la Cour Suprême n’a pas respecté l’obligation de respect de la garantie de tous devant les tribunaux, reconnue au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et des principes d’impartialité, d’équité et d’égalité implicites dans cette garantie. Le Comité note que, suite à l’arrêt n° 46 de la Cour Suprême du 19 juin 2001, rendant définitif l’arrêt n° 14 de la Cour d’appel déclarant les juridictions de droit commun incompétentes, les autorités pertinentes ont refusé ou omis de renvoyer la cause au Ministère de la défense, afin que des poursuites judiciaires soient engagées devant les tribunaux militaires, tel que prévu à l’article 71(1) et (3) du Code de la justice militaire. Le Comité renvoie également à ses délibérations sur la recevabilité et ses conclusions que le Procureur a arrêté, à tort, la procédure engagée par les auteurs et n’a, en outre, pas répondu à leur recours du 25 juillet 2001. Enfin, le Comité note que depuis que les juridictions de droit commun ont été déclarées incompétentes, près de cinq ans ont passé, sans que de poursuites judiciaires aient été engagées par le Ministre de la défense. L’Etat partie n’a pu expliquer les retards en question et sur ce point, le Comité considère que, contrairement aux arguments de l’Etat partie, aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire, et dès lors la non-dénonciation de l’affaire auprès du Ministre de la défense revient au Procureur, seul habilité à le faire. Le Comité considère que cette inaction depuis 2001, et ce, en dépit des divers recours introduits depuis par les auteurs, constitue une violation de l’obligation de respecter la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, reconnue au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et des principes d’impartialité, d’équité et d’égalité implicites dans cette garantie.

En ce qui concerne une violation de l’article 26 du Pacte, le Comité estime que les arguments avancés par les auteurs de discrimination à leur encontre de la part des autorités en raison de l’opinion politique sont insuffisants pour faire apparaître une violation.

Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, juge que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 7 et 14, paragraphe 1 du Pacte.

Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’Etat partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et effectif lorsqu’une violation a été établie. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’Etat partie est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara, et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie. L’Etat partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues se reproduisent.

Etant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, un Etat partie reconnaît la compétence du Comité pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’engage à garantir à toute personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’Etat partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’Etat partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité".

Voilà ce que dit le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU sur le fond de l’affaire, et qui retient contre le Burkina Faso la violation des articles 7 et 14 paragraphe 1 du Pacte après avoir fait la démonstration des dites violations. Monsieur Djibril Touré, il n’est pas judicieux d’apposer sa signature sur un article écrit par un autre, sans prendre la peine de vérifier le contenu et la véracité de ce que l’on signe. Sinon vous auriez su que le Comité parlait mieux que de la réouverture de l’affaire, le comité notait que, depuis les décisions d’incompétence des juridictions de droit commun, cinq ans s’étaient écoulés sans que des poursuites judiciaires aient été engagées par le Ministre de la défense. Et le comité s’étonnait de ce que le pouvoir Burkinabè n’ait pu expliquer les retards en question sur ce point. Ne s’agit-il pas de la saisine des juridictions militaires suivant l’ordre de poursuite du Ministre de la défense ? Et pourquoi l’Etat Burkinabè n’avait-t-il pas et n’a-t-il toujours pas répondu au Comité sur ce point ? Car pour le Comité, cette affaire devait être déjà devant les tribunaux militaires, c’est pourquoi il ne comprend pas ces retards que n’explique pas non plus l’Etat Burkinabè. Si Djibril Touré n’a pas bien lu cette constatation, alors qu’il le fasse à nouveau c’est écrit en français et cela est très clair d’un point de vue lexicale et juridique !

Une dernière chose, puisque vous avez voulu faire de l’esprit par la légende mise sur la photo de Mariam Sankara publié par votre journal : ‘’ Mariam Sankara devant la tombe de Thomas Sankara, le 15 octobre dernier. Dans sa plainte, elle dit pourtant ne pas savoir où ce dernier est enterré ‘’. Aviez vous bien lu son message du 15 octobre 2007 ? Mariam Sankara ne sait toujours pas où est le corps de son mari. Le cimetière de Dagnoen, est celui que la rumeur indique comme lieu où seraient enterrés les corps des suppliciés du 15 octobre 1987, mais sans aucune preuve formelle. Mais Monsieur Djibril Touré, peut être étiez-vous le 15 octobre 1987, au Conseil de l’Entente et/ou au cimetière de Dagnoen, et peut être saviez-vous ce qui s’y est passé ? Si oui, alors écrivez-le en nous donnant des précisions, ainsi nous prendrons note et date. Sinon respectez au moins la douleur de ceux qui ont perdu des êtres chers et qui, jusqu’aujourd’hui, n’ont aucune certitude sur le lieu de leur inhumation. N’ oubliez pas que la non-reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara est l’une des recommandations de l’Onu : mais jusqu’ici aucune autorité politique ou même administrative n’a officiellement montré à Mariam Sankara la tombe et donc les restes de son mari. Elle attend toujours du côté de l’Etat burkinabè qui selon Djibril Touré, est disposé à respecter les recommandations onusiennes…Alors chiche ! Montrez nous la tombe et les restes de Thomas Sankara. Pauvre Djibril Touré !

Dieudonné NKOUNKOU, Avocat à la Cour d’Appel de Montpellier, membre de la campagne internationale Justice pour Thomas Sankara

 

 

Plainte de Mariam Sankara : L’ONU n’a jamais demandé l’ouverture d’une enquête ni la tenue d’un procès

 

Djibril Touré

L’Etat burkinabè a-t-il été condamné par l’ONU suite à la plainte de la veuve Sankara pour la disparition tragique de son mari ? Si oui, à quelle peine ? Dans une déclaration censée être celle que devrait lire Mariam Sankara le 15 octobre dernier au cimetière de Dagnoen publiée par les journaux de la place, il est écrit entre autre que « le comité des droits de l’Homme de l’ONU a considéré que l’affaire (Thomas Sankara) devrait être rouverte » devant les tribunaux burkinabè. Affirmation totalement fausse quand on lit attentivement les constatations du dit comité.

L’adage qui dit « quand la politique entre au prétoire, le droit s’enfuit par la fenêtre » est bien connu. Il signifie entre autres que la justice s’accommode mal des pressions politiciennes qui par essence sont partisanes et au service d’intérêts souvent à mille lieux de ceux judiciaires. On aurait tort de croire que la politique n’entre au prétoire que par le seul fait du prince.

Au Burkina ils sont nombreux les dossiers judicaires fortement instrumentalisés par l’opposition politique qui ont cessé depuis lors d’être de simples dossiers en justice. Actualité de l’anniversaire du 15 octobre 1987 oblige, le dossier sur la mort tragique de Thomas Sankara est revenu à la Une de la presse. Voilà une affaire qui depuis fort longtemps a cessé d’être un problème juridique pour se noyer dans les dédales de l’instrumentalisation politique.

La famille biologique et politique du défunt président tire et tire sur la corde pour des raisons que l’on devine aisément. En effet, on connaît toute la passion, l’acharnement et l’agitation oppositionnelle et haineuse qui accompagne chacune des péripéties qu’a connues ce dossier en justice. C’est ainsi que sans qu’on ne soit sûr que toutes les voies de recours aient été épuisées en interne, Mariam Sankara et ses enfants ont été poussés par des milieux nationaux et étrangers hostiles au régime de Blaise Compaoré à saisir l’ONU en mars 2003 sur la question. Et c’est au Comité des droits de l’Homme onusien qu’est revenu la responsabilité d’étudier la plainte de Mariam Sankara contre l’Etat du Burkina Faso. Mais au contraire de ce que laisse supposer les déclarations répétées de la famille Sankara et de leurs avocats, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies n’est pas un tribunal pénal international qui a jugé et condamné l’Etat du Burkina avec les contraintes de la chose jugée.

Qu’est-ce que le Comité des droits de l’Homme de l’ONU ?

C’est un organe de surveillance de la mise en œuvre du traité baptisé Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ce traité est un ensemble de 30 articles, adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion des pays membres de l’ONU depuis le 16 décembre 1966. Il est entré en vigueur le 23 mars 1976 mais il a fallu attendre janvier 1999, c’est-à-dire sous la VIe République pour que le Burkina Faso ratifie ce pacte ainsi que son protocole facultatif. Trois mois après cette ratification, le texte du traité entrait en vigueur à l’égard du Burkina, soit le 4 avril 1999.

En ratifiant ce pacte international relatif à la protection des droits civils et politiques, le Burkina Faso donnait un signal fort, un de plus, sur ses intentions de se tourner résolument vers un plus grand ancrage de la démocratie, sans contentieux aucun en matière de respect des droits civils et politiques. C’est donc fort de l’adhésion libre et consciente du Burkina à ce pacte que la veuve Sankara a pu se pouvoir devant le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies aux fins de faire condamné le Burkina pour violations continues dans le temps de ce traité dans 10 de ses articles notamment les articles 6, 7, 9, 14 et 26 en rapport avec la mort de Thomas Sankara.

Une fois saisie, le Comité sans être un tribunal, met en œuvre une sorte de procédure judiciaire. C’est-à-dire qu’il invite les partis, dans le cas d’espèce, la famille Sankara et leurs avocats d’un côté et de l’autre, l’Etat burkinabè, à s’exprimer pour faire valoir leurs arguments sur le sujet querellé. Il s’agit donc d’une confrontation par l’argumentaire, un exposé des motifs sans la présence physique des parties intéressées. Le Burkina a dans ce sens produit un premier rapport soulevant des exceptions préliminaires pour démontrer l’irrecevabilité de la requête de la famille Sankara par le comité des droits de l’Homme de l’ONU. Le Comité onusien a quand même accepté d’examiner cette requête et convié le Burkina à faire ses observations de fonds sur les accusations de la famille Sankara.

Les observations du gouvernement burkinabè contenus dans un 2e rapport ont été jugées pertinentes par le Comité qui au contraire des arguments de la famille Sankara et de leurs avocats qui accusaient le Burkina d’avoir violé 10 articles du Pacte international, n’a finalement retenu que 04 articles sur lesquels si l’on peut dire, il y avait litige. Il s’agit des articles 7, 9, 14 et 26. Après examen des motifs de la partie plaignante, le Comité est arrivé à la conclusion qu’il y a eu manquement de l’Etat burkinabè au regard de seulement 2 articles. Il s’agit de l’article 7 et de l’article 14 en son paragraphe 1. Devant la violation par l’Etat burkinabè de ces 2 articles du Pacte international, que propose le Comité des droits de l’Homme de l’ONU ?

Les principales recommandations du Comité onusien

Il est bon de rappeler que le Comité des droits de l’Homme de l’ONU n’est pas un tribunal pénal. Il ne prend pas des actes juridiques contraignants. Il fait des recommandations suivant l’esprit et la lettre du Pacte international et sa propre jurisprudence. Il peut néanmoins dans ses recommandations, indiquer les voies à suivre pour le règlement du différent à lui soumis. Dans le cas de la requête de la famille Sankara, le Comité a estimé que « le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme Sankara et ses fils, contraire à l’article 7 du pacte ».

D’autre part, le Comité a retenu « une violation de l’obligation de respecter la garantie d’égalité de tous devant les tribunaux, reconnue au paragraphe 1 de l’article 14 du pacte ». Nonobstant ces manquements aux articles 7 et 14 du Pacte international, le Comité dans ses recommandations finales à l’Etat burkinabè n’a pas expressément demandé l’ouverture d’une enquête sur la mort de Thomas Sankara encore moins la tenue d’un procès. Pourquoi ? On ne saurait répondre à la place des experts onusiens mais on peut penser que le caractère spécifique, éminemment politique des événements du 15 octobre - il s’agit d’un coup d’Etat lors duquel des soldats se sont tirés dessus - n’est peut-être pas étranger dans la démarche prudente du Comité.

En effet, dans ses recommandations finales, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies s’est borné à dire : « En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte (international relatif aux droits civils et politiques) l’Etat partie (burkinabè) est tenu d’assurer un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie. L’Etat partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir ».

C’est en toutes lettres ce que dit le paragraphe 14 des recommandations finales du Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Et cela est très clair d’un point de vue lexicale et juridique. De fait, on ne voit pas où il est question de « tribunal militaire devant lequel il n’y aurait aucune prescription », selon les termes de la déclaration qu’on prête à Mariam Sankara. Le français aussi élastique soit-il, reste le français. Le droit également, au point que les Romains avaient l’habitude de dire « dura lex, sed, lex ». Traduisez : la loi reste la loi aussi dure soit-elle.

L’Etat burkinabè disposé à respecter les recommandations onusiennes

Les recommandations du Comité des droits de l’Homme de l’ONU au contraire des interprétations tendancieuses de Mariam Sankara et de ses avocats sont : indiquer le lieu de sépulture de Thomas Sankara à sa famille, indemniser celle-ci pour l’angoisse subie et corriger l’acte de décès du président du CNR. Le gouvernement burkinabè suite à ces recommandations a produit un mémorandum sur sa disponibilité à s’exécuter conformément à ces décisions.

1°) A propos de la reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara, le gouvernement burkinabè a fait remarquer aux experts du Comité onusien que l’emplacement de la tombe de Thomas Sankara est de notoriété publique au Burkina Faso. « Elle est vénérée, chaque année, à l’occasion de la commémoration du décès du président Sankara. La famille Sankara connaît pour le moins bien la tombe de Thomas Sankara…qui se trouve au sein du cimetière de Dagnoen, au secteur 29 de Ouagadougou… mais (la famille) ne veut pas l’admettre » souligne littéralement le mémorandum du gouvernement.

2°) A propos de la correction du certificat de décès de Thomas Sankara, l’Etat burkinabè a souligné à l’intention du Comité des droits de l’Homme de l’ONU que « sur instruction du ministre de la Justice, Garde des Sceaux, le procureur du Faso près le Tribunal de Grande instance de Ouagadougou a saisi le maire de la commune de Ouagadougou, officier d’état civil compétent, à l’effet d’établir, en l’absence d’un acte de décès, un jugement supplétif d’acte de décès. Par un jugement supplétif d’acte de décès en date du 7 mars 2006, le Tribunal d’arrondissement de Baskuy de la commune de Ouagadougou a établi un jugement supplétif d’acte de décès au nom de Thomas Isidore Sankara, décédé le 15 octobre 1987 ». Cette décision du gouvernement burkinabè a été prise dans le souci de mettre un terme à une polémique sans objet, souligne le mémorandum du gouvernement burkinabè.

3°) A propos de l’« indemnisation pour l’angoisse que la famille Sankara a subie » mentionnée dans les recommandations du Comité des experts de l’ONU, le gouvernement burkinabè rappelle que « la mort de Thomas Sankara est intervenue, on le sait, dans le cadre d’un régime d’exception et dans un contexte national particulièrement marqué par la violence politique. [Cette indemnisation] relève donc des missions assignées au Fonds d’indemnisation (expressément créé à cet effet). Malheureusement, la veuve Sankara et ses enfants n’ont jamais voulu de l’indemnisation proposée dans ce cadre ».

Le mémorandum du gouvernement à l’adresse du Comité des droits de l’Homme de l’ONU poursuit ses explications sur le refus de l’indemnisation par la famille Sankara en ces termes : « le gouvernement a, par décret n°2006-307/PRES/PM du 29 juin 2006 portant liquidation de l’indemnisation des ayants cause de deux victimes ayant perdu la vie (capitaine Thomas Sankara et Frédéric Kiemdé), décidé d’octroyer une somme globale de quarante trois millions quatre cent quarante-cinq mille (43 445 000) francs CFA à Mme Mariam Sankara et ses deux enfants ». La famille Sankara invitée à prendre contact avec le Fonds d’indemnisation des personnes victimes de la violence en politique ne s’est jamais manifestée. Pourquoi ?

Pour des raisons que l’on devine aisément. Elle ne veut pas du règlement de ce dossier suivant les prudentes recommandations du Comité des droits de l’Homme de l’ONU et suivant les dispositions de bonne volonté prises par les autorités burkinabè. L’affaire Thomas Sankara, interminable en justice et devant le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, est politiquement plus rentable, plus vendable parce qu’elle fera toujours partie des « dossiers pendants », le seul programme politique que l’on connaisse à certains opposants qui s’agitent à piéger la paix sociale et à exercer un terrorisme intellectuel qui ne dit pas son nom sur ceux qui ne pensent pas comme eux. C’est au nom de cette fuite en avant dans la surenchère que la famille Sankara donne une lecture totalement biaisée et à dessein des recommandations onusiennes. A mille lieux de leur esprit et de leur lettre.

Djibril Touré  n° 446 du 02 au 08 novembre 2007

Source : http://lefaso.net/spip.php?article24310


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