Août 1983, Pô, le berceau oublié de la Révolution

Publié le par Patriote

Par Dayang-ne-Wendé P. SILGA

La Révolution démocratique et populaire, portée par le capitaine Thomas Sankara et ses camarades, aurait-elle eu lieu le 4 août 1983 sans la contribution de la ville de Pô ? Dans la capitale du Nahouri où nous avons séjourné du 27 au 28 juillet dernier, on n’y pense même pas. Si les acteurs de la Révolution ont eu le courage et la détermination nécessaires, c’est parce qu’ils étaient assurés du soutien sans faille des populations. Et cela, plusieurs témoignages l’ont corroboré avec force détails. A Pô, on se rappelle tous ces événements, les faits et gestes, les habitudes, comme si c’était hier. Retour sur les traces et les vestiges de la Révolution d’août 83...

L’histoire commence en 1976 quand le sous-lieutenant Thomas Sankara débarque à Pô, situé à 147 km de Ouagadougou, avec 30 hommes (selon les témoignages) pour créer le Centre national d’entraînement commando (CNEC). Ils installent leurs quartiers en ville, dans l’actuel bâtiment de la direction provinciale de l’Environnement et du Cadre de vie du Nahouri. Leur intégration au sein des populations est presqu’une réussite. Selon Apérika Gomgnimbou, apiculteur et témoin de cette époque, ils participaient à tous les événements sociaux de la cité (décès, baptêmes, mariages, etc.). Pour le vieux Ousmane Koutiébou, commerçant à Pô, c’est surtout la personnalité de Thomas Sankara qui favorisait cette lune de miel. « Il était ouvert et il travaillait surtout avec la jeunesse », se rappelle-t-il. C’est ainsi qu’il a acquis, rapidement, la confiance des populations qui le considéraient comme un fils dans tous les sens du terme. D’après Ousmane Koutiébou, cela s’explique par le fait que Thomas Sankara était un « garçon » qui n’avait pas peur et pour qui l’indépendance était la chose la plus importante dans la vie d’un peuple. Quoi de plus normal, à l’entendre, qu’il soit donc adulé par les Kassénas, l’ethnie majoritaire au Nahouri.

« Il travaillait surtout avec la jeunesse »

Mieux, il s’implique avec ses soldats dans les actions de développement de la ville et inculque aux populations la nécessité de se prendre en charge quand elles développent des initiatives. Cependant, la lune de miel prend fin en 1978, quand éclate une bagarre entre un jeune de Pô et des militaires. Ces derniers, pour venger leur frère d’armes, n’hésitent pas à corriger les populations (cf. interview Apérika Gomgnimbou). Et c’est Thomas Sankara qui réussira à faire retomber la tension. El hadj Abdou Akodian Vougouhiré, aujourd’hui âgé de plus de 70 ans, était le président des jeunes à l’époque. Il se souvient des tractations qui ont été menées avec le chef de canton pour organiser la réconciliation qui donnera le nom à la place Némaro (qui veut dire, « entente » en langue kassena). Hamidou Kopio, victime de la poliomyélite depuis l’âge de 6 ans, n’a pas oublié à quel point il a été bastonné par les militaires alors qu’on le poussait dans son tricycle. Celui qui partait vendre de la cigarette et de la sardine à crédit aux hommes de Sankara, parle de la réconciliation comme d’un grand moment qui a marqué la vie des populations après le clash.

Au-delà de ces soubresauts, on a aussi suivi avec grand intérêt à Pô, l’évolution de la situation politique en Haute-Volta et ses implications pour leurs fils, Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Le premier événement est la crise au sommet du régime du CMRPN (Comité militaire pour le redressement et le progrès national) qui a culminé avec l’arrestation du capitaine Thomas Sankara, en mai 1983.

Pour Blaise Compaoré, alors patron du CNEC, il fallait agir pour libérer son « ami et compagnon d’armes ». Parlant de cette crise, Abdou Akodian Vougouhiré révèle que Blaise Compaoré a demandé les bénédictions des vieux avant de monter à Ouagadougou.

Mieux, la jeunesse, dans son ensemble, s’est mobilisée pour le soutenir et le vieux Vougouhiré croit savoir d’ailleurs que sans ce soutien de la population, ils n’auraient pas pu réussir. Après la libération de Thomas Sankara, Blaise Compaoré sera porté en héros par les jeunes dans la ville de Pô, selon les témoignages.

L’événement le plus important sera bien sûr l’avènement de la Révolution du 4 août 1983. El hadj Vougouhiré dit avoir eu la primeur de l’information avec le capitaine Blaise Compaoré qui lui faisait confiance. « Blaise et les autres nous ont dit qu’ils voulaient faire la révolution mais qu’ils n’avaient pas les moyens », nous a-t-il confié. Mis au courant de leurs projets, le président ghanéen Jerry Rawlings (qui s’est déplacé plusieurs fois à Pô) leur a affrété un avion pour qu’ils aillent voir Kadhafi pour obtenir du matériel, a-t-il poursuivi.

C’est à Navrongo (localité située au Ghana voisin) que le matériel sera réceptionné, lequel sera déterminant pour la prise du pouvoir le 4 août 1983, selon Abdou Akodian Vougouhiré. Même si la majorité de la population ne savait pas ce qui se tramait, elle faisait bloc derrière ses deux fils et assurait leur « sécurité » en leur facilitant des caches différentes. Lorsque le colonel Yorian Gabriel Somé a menacé de bombarder la ville de Pô, les témoignages recueillis indiquent que les populations ont répondu en choeur : « Les capitaines Thomas Sankara et Blaise Compaoré valent à eux deux toutes les populations du Nahouri ». Pour Apékira Gomgnimbou, Pô mérite donc son surnom de « berceau de la Révolution ». Mais, cette position a-t-elle profité à la ville ?

« La Révolution a ouvert les yeux des Pôlais »

Ousmane Koutiébou, chef de quartier, pense que la Révolution a ouvert les yeux aux Pôlais et fortifié l’unité de ses fils. Et c’est dans cet élan que de nombreuses réalisations ont été entreprises (comme la Maison des jeunes) avec l’appui des militaires du CNEC. Pour Apérika Gomgnimbou, c’est Thomas Sankara qui a fait venir l’eau courante et les populations ne peuvent l’oublier. Pendant la Révolution qui a connu une ferveur particulière dans la ville, la Cité du 4-Août, des écoles, l’extension du réseau de l’ONEA, etc., ont vu le jour.

Cette dynamique s’est-elle poursuivie après la période révolutionnaire ? La réponse à cette interrogation soulève un débat controversé où se mêlent récriminations amères contre les gouvernants actuels et autocritique des fils de la province.

Pô, la frondeuse

Difficile de faire un séjour à Pô, sans que le sujet de la régionalisation ne revienne sur le tapis. « Ils ont tout eu par Pô et ils ont tout refusé à Pô ». Cette réflexion d’un de nos interlocuteurs, Apékira Gomgnimbou, nostalgique de la Révolution, traduit à elle seule, les ressentiments des Pôlais. A écouter plusieurs personnes, après la Révolution, la ville a été abandonnée à son sort par ceux-là même qui étaient considérés comme ses fils. Ainsi, suite à l’adoption le 2 juillet 2001 par l’Assemblée nationale de la loi sur la régionalisation, Manga a été choisie comme chef-lieu de la région du Centre-Sud. Une « grosse injustice », pour reprendre les termes du Mouvement Justice pour le Nahouri, qui avait porté la lutte des populations de cette province. Pour le vieux Ousmane Koutiébou, c’est comme si le développement s’était arrêté après la période révolutionnaire. Les conséquences de cette colère des populations seront, entre autres, le boycott des élections législatives en 2002. Dans la foulée, le CDP, parti au pouvoir, sera sanctionné lors des municipales d’avril 2006 avec la victoire du PAI. A la reprise des élections en février 2007, les populations ont encore porté à la tête de la mairie, Henri Koubizara, pour s’opposer, explique-t-on, à l’injustice faite au parti de Soumane Touré. Pour le bourgmestre de la ville, tous ces événements ont mis en retard le développement de la ville. Contrairement aux plus radicaux qui estiment que Blaise Compaoré et les autres ont fait preuve d’ingratitude à l’égard de Pô, lui évoque plutôt le manque de cohésion des fils de la province. « Ce n’est pas le président du Faso qui doit venir diriger les chantiers », a-t-il confié. Gilbert Tiaho, attaché de santé en chirurgie à Pô, est du même avis. Celui qui a été un proche de Blaise Compaoré surtout pendant la mise en place des comités de défense de la Révolution (CDR) dans la ville, pense que ce n’est pas un abandon. Il estime qu’il était difficile de porter toute l’attention sur le « berceau de la Révolution » alors que d’autres localités attendaient des actions. Pour lui, la mise en oeuvre des projets de développement a connu des défaillances au niveau local. Mieux, ce militant du CDP pense que le parti doit s’en prendre à lui-même parce que c’est à cause des querelles intestines que la mairie lui a échappé.

L’espoir est cependant permis, selon le maire de Pô, Henri Koubizara, qui a viré du PAI à l’Alliance nationale pour la démocratie / Parti pour la justice sociale (AND/PJS) dirigée par Alphonse Bonou. Après la reprise des élections en 2007, il s’est attelé, avec l’ensemble de son conseil municipal, à traduire dans le champ de la réalité, les aspirations des Pôlais. « Nous avons hérité d’une commune avec des arriérés de près de 22 millions de F CFA de la SONABEL et avec un vrai cafouillage dans l’administration », nous a-t-il confié. En quelques années, la situation a pu être redressée à ce niveau et l’éclairage public est de retour. Parmi les acquis de cette équipe, on cite volontiers, la rénovation de la mairie, la réhabilitation du grand marché, la réfection de l’abattoir, l’ouverture de classes dans les villages.

« Pour nous, l’important pour les gens de Pô, c’est d’assumer leur histoire et de prendre leur développement en main sans rejeter la balle aux autres », a indiqué le premier responsable de la commune qui compte 53 000 habitants (dont 24 000 pour la ville). A quand la réconciliation entre Blaise Compaoré et les gens de Pô, comme pour rééditer celle de 1978 ?

Par Dayang-ne-Wendé P. SILGA

Source : Quotidien Le Pays du 4 aout 2009 http://www.lepays.bf/spip.php?article2670

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