Interview de Paco Koné : « j’ai compris la révolution avec Sankara : pour moi, c’était être fier de ce qu’on fait,de ce qu’on est »

Publié le par Patriote

Paco Koné, musicien confirmé, installé depuis quelques années en France s’apprête à sortir un album en septembre 2009 en hommage à Thomas Sankara. Issu d’une famille de griot, il a intégré l’orchestre des petits chanteurs aux poings levés, s’initiant ainsi à la musique moderne. Sankara emmenait souvent avec lui cet orchestre composé d’enfants lors de ses tournées à l’étranger. Il a bien voulu répondre à nos questions. (on peut écouter son morceau intitulé « KO TESSE » à l’adresse http://www.thomassankara.net/spip.php?article777)

 

Dans votre présentation sur le site qui est consacré sur my space, vous vous présenté comme " Fils de Bakary Koné du Burkina Faso, petit fils de Wamian Koné du Mali, arrière petit fils d’un griot bobo balafoniste percussionniste et conteur…", vous pouvez expliquez en quoi votre origine griot a influé sur votre éducation comme enfant ?

J’ai appris le respect humain, la musique, l’importance du partage, l’ouverture, c’est plus qu’une influence la musique fait partie de moi

Vous avez donc baigné dans la musique dès votre plus jeune âge ?

Oui, je n’ai pas eu le choix. Les premières images de moi que j’ai vu, c’est moi à trois ans sur le balafon de mon grand père car un ethnologue américain a filmé ma famille pendant une vingtaine d’année

Vous avez appartenu aux petits chanteurs aux points levés durant la révolution. Vous vous rappelez à quelle occasion ?

De la création 1983 à la fin, à 10ans j’ai commencé à jouer de la batterie. Sankara est venu voir mon père qu’il connaissait comme musicien depuis longtemps (il avait monté la troupe nationale avec Jean Ouedraogo bien des années auparavant). Il a choisit ses deux fils les plus âgés, Kalifa, mon grand frère et moi qui jouait déjà avec lui

Vous avez donc eu des rapports personnels avec Thomas Sankara ? Vous vous en souvenez ? Il avait du temps à vous consacrer ?

Oui, je m’en souviens très bien, il passait dans la famille voir mon père et il venait souvent a l’improviste soit a l’internat soit aux répétitions au moins 3 ou 4 fois par semaine. On était encore plus proche pendant les voyages

Quels étaient ses rapports exacts avec les membres du groupe ?

Il nous aimait bien, il nous demandait un travail sérieux, il orientait le travail des encadreurs parfois il se fâchait avec eux mais pas avec nous, il était très bienveillant, plaisantait, nous conseillait

Il était dur avec vous et vos camarades ?

Non pas du tout

On retient surtout de Thomas Sankara qu’il était un dirigeant politique. On sait aussi un peu qu’il jouait de la musique. Quel rapport avait-il avec la musique d’après ce que vous vous rappelez ?

Il était à fond dans la musique, il faisait des concerts avec ses « gars », nos encadreurs à la présidence, il aimait vraiment la musique mais il ne  pouvait pas tout faire. Il jouait très bien de la guitare, des reprises de la musique traditionnelle mossie, des titres français connu, il aimait aussi la musique cubaine

Et sa conception de la culture ?

Ça lui tenait a cœur, les moyens qu’il a mis pour notre formation, le fait qu’il nous emmenait dans ses déplacements même s’il faisait des économies dans d’autre domaine montre l’importance qu’il donnait a cette image du Burkina .

Il est le premier qui a fait venir des artistes connus au Burkina, Kassav, Jimmy Cliff, Burning Spear, Fela kuti et beaucoup d’autres artiste moins connu

Quel était le rôle assigné aux petits chanteurs aux poings levés ?

On jouait dans les tournée présidentielles, on accueillait des hôtes de marque au Burkina, on le suivait dans ses sorties nationales et internationales On montrait que les enfants pouvaient avoir un rôle, montrer que la révolution ce n’était pas que la violence, on était comme une image de l’avenir. La qualité de la formation qu’il voulait pour nous, montre ce qu’il aurait voulu pour tous les enfants.

Vous étiez aussi pionnier de la révolution ? Ca consistait en quoi ?

On était à part mais on avait l’uniforme, on faisait parti des révolutionnaires mais on n’était pas destiné à l’armée, on était seulement musicien, on était scolarisé dans le quartier de l’internat dans une école publique vers la Place de la révolution en centre ville. On n’avait pas d’activité avec les autres pionniers.

Avec le recul vous n’avez pas l’impression d’avoir été embrigadé ?

Pas du tout, j’ai compris la révolution avec Sankara : pour moi, c’était être fier de ce qu’on fait, de ce qu’on est. Dans toute ma formation,  on m’a montré le droit chemin, on m’a encouragé à avoir de la dignité

Vous avez aussi beaucoup voyagé à l’étranger ? Le président était souvent avec vous ? Qu’est ce que vous en gardez comme souvenir ?

 On a fait de nombreux voyage Chine, Cuba, Libye, Corée, Cote d’ivoire, Niger, Togo, Bénin Ghana….On a  joué avec lui partout dans le train,  dans l’avion, on jouait, il prenait sa guitare et on jouait, Et je ne garde en tête que du bon. Découvrir le monde dans ses conditions c’était une grande expérience, un grand bonheur

Quels sont les voyages qui vous ont le plus marqué ? Y avait-il dans d’autres pays des orchestres d’enfant comme ça ?

C’est Cuba que j’ai préféré, à cause de la musique, de leur histoire et de la rencontre avec Castro, et de leur accueil en tant qu’enfant ;

Non, je ne me rappelle pas en avoir  rencontré

On ne peut pas dire que c’est cette période qui vous a donné le gout pour la musique, mais qu’est ce qui a été le plus important dans votre carrière musicale que vous avez acquis durant cette période ?

Ce qui m’a le plus marqué, c’est la rencontre avec d’autres musiciens, dont des musiciens très connu avec qui on a joué toute sorte de musique, mangé, plaisanté. On était traité d’égal a égal avec ces musiciens et puis c’est la formation musicale en même temps que la pratique d’instrument comme la batterie car je jouais déjà des instruments traditionnels djembé, balafon, dumdum, tama etc. , dans l’orchestre j’étais batteur et percussionniste et mon frère était guitariste et pianiste ça nous a donné a tous les deux , cette ouverture a d’autre répertoire et le goût de la création, de la recherche

Avez-vous connu des gens qui ont souffert de la révolution ? Si oui quand vous discutez avec eux vous dites quoi ?

Non pas au temps de Sankara, pour moi, on ne souffrait pas au contraire on a appris à être fier et digne

Quand Sankara est mort que s’est-il passé pour vous et vos camarades ?

On croyait qu’on était mort aussi, on a vu notre vie s’écrouler, on a appris beaucoup de chose mais alors, on a beaucoup perdu

Vous avez tout de même continué dans la musique… Ca s’est passé comment pour vous ?

Après j’ai repris ma musique avec la famille, mon frère est parti en Cote d’ivoire ou il a joué avec tous les grands groupes. Je suis resté à Ouaga, à 17ans, je donnais des cours au centre culturel français et très vite j’ai formé des musiciens avec lesquels j’ai créé des groupes de musique traditionnelle mais avec des créations personnelles qui nous ont donné un style qui nous a permis de jouer au Burkina puis en Europe

Là vous vous apprêtez à sortir un album en hommage à Thomas Sankara. Pourquoi ?

Ça fait longtemps que j’en avais envie, je voulais l’honorer, le remercier car cet album m’a permis de joindre ce que j’ai appris de mes parents, de mon père et ce que j’ai appris grâce a la volonté de Thomas Sankara, sa volonté de nous montrer le chemin de la fierté et de la dignité ; Ce qui m’a amené a cette ouverture sur un monde musical infini.

Il semble qu’un mouvement culturel se dessine autour d’une génération qui se réfère à Thomas Sankara. Vous vous en réclamez ? Vous connaissez les autres artistes comme Serge Aimé Coulibaly, Carlos Ouedraogo, Sams’K Le Jah, Harmattan et sans doute beaucoup d’autres encore…

J’ai toujours eu l’impression de faire rayonner cet état d’esprit, de part ma culture familiale et a cause de l’esprit de la révolution incarné pour moi par mon rapport personnel a Sankara, je me suis toujours senti citoyen du monde. Tous ceux qui ont vécu cette période au Burkina, surtout très jeune ont été imprégné par cette fierté qui donne la force d’aller jusqu’au bout de nos projets artistiques ou autre

Carlos Ouédraogo dans une interview a déclaré " Aucun artiste burkinabè ne peut faire acte de création sans porter en lui l’héritage de Sankara", qu’en pensez-vous ?

C’est vrai

Vous auriez envie de dire quelque chose sur l’influence de Sankara sur votre métier de musicien ?

Il aimait tout, il était curieux de tout. Son ouverture d’esprit m’a beaucoup influencé

Cette interview a été réalisée pour le site thomassankara.net en février 2009.

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